talibé; cette plaie qui fait partie du décor
« Ngir Yalla » vous disent ils de leur petite voix fatiguée lorsqu’ils vous abordent dans la rue, invoquant ainsi un peu de compassion par la grâce de Dieu.
Ils sont pieds nus, en haillons armés seulement du pot de tomate ou de beurre vide qu’ils trainent tous partout avec eux pour y mettre les restes de repas qu’on leur offre ou tout autre chose qu’on consent à leur filer. Ces petits, qui se comptent en milliers à travers le pays, constituent la plus grande plaie de cette société. Au départ ils sont confiés à des maitres coraniques pour un apprentissage du Coran. Les oustaz, peu scrupuleux, les envoient mendier en leur fixant une somme à verser le soir sous peine souvent de s’exposer à de sévères punitions. Sans compter toutes les exactions et tous les abus dont ils s’exposent de jour comme de nuit. Pourtant personne ne semble s’en émouvoir outre mesure. Ils font partie du décor. De temps à autre les autorités prennent la résolution de s’attaquer au problème mais sans jamais que cela soit suivi d’actes concrets. La loi sur la mendicité dont certains aspects visaient à leur protection a d’ailleurs fait long feu. En fait rare sont les hommes politiques qui trouvent une nécessité à ériger le sort de ces gosses en priorité. Les candidats à la prochaine présidentielle ne semblent pas faire de cette question le premier de leur soucis, loin de là. Ibrahima Fall en a fait un point de son programme, c’est tout à son honneur, mais on peut se désoler que les postulants à la magistrature suprême ne rivalisent de propositions dans ce domaine.
Pour soulager nos consciences, nous leur donnons juste une petite pièce à l’occasion. Ils sont aussi les destinataires d’offrandes prescrites par les marabouts. C’est peut être là qu’est le nœud du problème.
Il m’arrive en effet de penser que les sénégalais ne veulent pas que cette situation cesse à cause de la morale que j’ai tirée de ‘’La grève des battù’’ d’Aminata Sow Fall, à savoir que dans notre société les individus ont plus besoin des mendiants que le contraire. En donnant l’aumône, en suivant les directives d’un marabout, on a bon espoir que cela va contribuer à décanter les situations les plus difficiles. Or il faut bien qu’il y est des personnes qui acceptent de recevoir ces dons bien particuliers d’où l’utilité des mendiants en général et des enfants de la rue en particulier.
Le jour où je me promènerai dans les rues de Dakar sans que les « Ngir Yalla » ne fusent de partout, je constaterai que ma société vient d’éradiquer un fléau qui n’aurait jamais du exister. Et je serais heureux, tout simplement.