Traite des enfants
LES ASPECTS JURIDIQUES DE LA TRAITE DES ENFANTS :
Diagnostic de la loi 2005-06 du 10 mai 2005 relative à la lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilées et à la protection des victimes.
INTRODUCTION
Les difficultés économiques et sociales relevées au Sénégal ont des effets désastreux sur la population notamment les femmes et les enfants.
Ces couches les plus vulnérables de la société subissent de nos jours, en raison de cette précarité, des activités criminelles relatives à des situations de maltraitance.
Ainsi, pour endiguer ces fléaux aujourd’hui à dimension internationale, l’Etat du Sénégal a pris un certain nombre d’engagements aussi bien au niveau régional que sur le plan international.
En effet, Le gouvernement du Sénégal a validé en 2002 le plan d’action régional de lutte contre la traite des personnes élaboré depuis 2001 par les Etats membres de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) avant de ratifier, en 2003, la convention des Nations Unies contre la criminalité transcontinentale organisée et le protocole additionnel relatif à la prévention, la répression et la punition de la traite des personnes, en particulier les femmes et les enfants.
Cette volonté politique exprimée à l’échelle internationale s’est manifestée au niveau national par l’adoption, le 10 mai 2005, de la loi 2005-06 relative à la lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilées et à la protection des victimes.
Depuis cette date, notre arsenal juridique s’est enrichi de ce nouvel instrument juridique qui permet de lutter efficacement contre ce phénomène de la traite des personnes qui, malheureusement, prend toujours de l’ampleur.
En effet, malgré l’existence de ce dispositif juridique, le constat est toujours le même au Sénégal où beaucoup d’enfants subissent diverses formes d’exploitation qui portent atteinte à leurs droits.
Ce constat nous amène alors à analyser cette loi relative à la traite des personnes pour permettre aux différents acteurs de mieux connaitre les réponses juridiques apportées aussi bien à la lutte contre la traite des personnes (I) que l’exploitation de la mendicité d’autrui (II).
I – DE LA TRAITE DES PERSONNES :
La notion « de traite des personnes » est définie dans l’article premier de la loi 2005-06 du 10 mai 2005 qui reprend exactement la définition consacrée par le Protocole facultatif à la Convention des Nations Unis contre la criminalité transcontinentale organisée (ratifiée par le Sénégal suivant la loi 2003-17 du 18/07/2003) ou Protocole de Palerme qui vise à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes et en particulier des femmes et des enfants.
Il faut préciser que cette traite des personnes est très sévèrement réprimée soit par une peine d’emprisonnement de 5 à 10 ans ainsi qu’une amende de 5 à 20 millions de francs CFA, soit par le maximum de cette peine lorsqu’elle est accomplie dans certaines conditions, soit par une peine de détention criminelle en raison de certaines circonstances aggravantes bien spécifiées.
Par ailleurs, cette définition légale de la traite renferme aussi bien les procédés utilisés pour y parvenir (A) que ses différentes formes envisagées (B).
A- Les procédés utilisés :
Les procédés utilisés pour parvenir à la traite des personnes notamment des enfants sont d’ordre matériel et psychologique.
1- Aspects matériels :
La traite des personnes notamment des enfants peut s’opérer aussi bien au niveau national qu’au delà des frontières.
Ainsi, le processus débute sur le plan matériel par « le transport ou le recrutement ou le transfert ou l’hébergement ou l’accueil de personnes ».
Suivant ces procédés matériels, beaucoup d’enfants sont déplacés de leur milieu naturel vers un autre espace sans qu’ils aient conscience de la situation d’exploitation qui les attend sur place ou reçus dans un autre cadre où la réalité ne correspond pas à leurs attentes.
C’est le cas des enfants recrutés par des personnes qui leur font miroiter des perspectives de gagner facilement de l’argent ailleurs, les enfants vivant une situation familiale désastreuse, les enfants victimes d’abus de leurs parents ou qui sont membres d’une minorité victime de discriminations et les enfants en situation d’échec scolaire ou en situation de pauvreté.
L’utilisation de ces procédés matériels pour parvenir à la traite des personnes est suivie de moyens psychologiques.
2- Aspects psychologiques :
Les moyens psychologiques utilisés par les auteurs de la traite sont consécutifs « à la menace ou au recours à la violence, l’enlèvement, la fraude, la tromperie et l’abus d’autorité ou de la situation de vulnérabilité ou l’offre ou l’acceptation de paiement d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre ».
Il s’agit ainsi de l’utilisation de moyens coercitifs ou frauduleux soit sur le sujet de la traite en situation de vulnérabilité soit sur une personne qui a autorité sur une autre notamment les parents des enfants.
Ainsi par exemple, l’enfant qui répond à une annonce pour un travail bien défini et qui se retrouve à devoir se prostituer ou la jeune fille qui se voit promettre le mariage par un étranger alors que les intentions de celui-ci sont de la vendre à d’autres pour une exploitation sexuelle.
C’est également le cas lorsqu’on achète la conscience des parents qui aspirent à une vie meilleure dans le but d’obtenir leur consentement afin de disposer de leurs enfants.
Toutefois, il faut préciser que ces procédés psychologiques sont inopérants lorsque « le transport, le recrutement, le transfert, l’hébergement et l’accueil », c’est à dire les actes matériels, concernent un mineur. Cela procède naturellement d’une logique de protection des enfants en conformité aux dispositions relatives à la protection des enfants.
Ainsi, l’ensemble de ces procédés matériels et psychologiques doivent être utilisés à des fins d’exploitations qui peuvent revêtir différentes formes suivant la loi 2005-06 du 10 mai 2005 pour que l’on puisse admettre l’existence d’une traite des personnes et en particulier les enfants.
B- Les différentes formes d’exploitation :
Dans la définition de la traite, deux formes d’exploitation sont visées par la loi 2005-06 du 10 mai 2005 : l’exploitation sexuelle et l’exploitation économique.
1- L’exploitation sexuelle :
Il s’agit d’une forme d’exploitation très courante et qui procède généralement d’un isolement ou d’une domination exercée sur un enfant pour permettre à d’autres personnes d’assouvir leur désir sexuelle sur lui.
Cette exploitation sexuelle s’apprécie généralement dans différentes situations notamment :
- la prostitution des mineurs qui s’entend par l’utilisation des enfants à des fins sexuelles contre rémunération ou toute autre forme d’avantages.
- La pédopornographie qui suppose une représentation, par quelques moyens que ce soit, d’un enfant s’adonnant à des activités sexuelles ou toute représentation d’organes sexuels d’un enfant à des fins sexuelles.
Nous précisions que la plupart de ces formes d’exploitation sexuelle sont prévus et punis dans le code pénal.
2- L’exploitation économique :
Cette forme d’exploitation résulte généralement de l’inobservation de certaines règles internationales tendant à la protection des enfants.
En effet, l’exploitation au travail visée dans la loi 2005-06 du 10 mai 2005 peut être appréciée à travers les différentes conventions de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) ratifiées par l’Etat du Sénégal notamment la convention n°5 de 1919 sur l’âge minimum d’admission dans les établissements industriels publics ou privés à l’exception de ceux dans lesquels sont employés les membres d’une même famille, la convention n°6 de 1919 sur le travail de nuit des enfants, la convention n°29 de 1930 sur le travail forcé, la convention n°33 de 1932 sur l’âge minimum d’admission aux travaux non industriels et la convention n° 139 de 1999 sur les pires formes de travail des enfants entres autres.
Ainsi, l’analyse de ces différentes conventions ratifiées par l’Etat du Sénégal permet de considérer les situations suivantes comme des formes d’exploitation au travail:
- L’emploi de certains enfants dans des taches pour lesquelles ils n’ont pas encore atteint l’âge minimum requis ;
- L’emploi de certains enfants dans des travaux qui paraissent très dangereux pour eux car pouvant porter atteinte à leur bien être physique, mental ou moral en raison de leur nature ou les conditions dans lesquelles ils sont exécutés.
- L’emploi de certains enfants dans des travaux formellement condamnables par les conventions internationales et qui sont assimilables à de l’esclavage ou pratiques analogues ainsi que la servitude.
L’utilisation de cette main d’œuvre enfantine soit dans la cellule familiale comme moyen de subsistance soit dans des sphères économiques à forte main d’œuvre constituent une grave atteinte aux droits des enfants qui méritent plus de protection en raison de leur situation de vulnérabilité.
Par ailleurs, une autre pratique assimilable à la traite est prévue dans la loi 2005-06 du 10 mai 2005. Il s’agit de l’exploitation de la mendicité d’autrui.
II – DE L’EXPLOITATION DE LA MENDICITE D’AUTRUI :
La loi 2005-06 du 10 mai 2005 incrimine cette forme de maltraitance qui prend aujourd’hui de l’ampleur au Sénégal surtout en milieu urbain.
En effet, l’exploitation de la mendicité d’autrui, qui traduit une réalité culturelle très négative, est punie aussi bien d’une peine d’emprisonnement de 2 à 5 ans que d’une amende de 500 000 f CFA à 2 000 000 f CFA.
Il faut préciser que cette nouvelle incrimination s’ajoute à la réponse pénale, certes inefficace, apportée depuis longtemps à la question de la mendicité.
Ainsi, avant d’étudier cette forme d’exploitation qui concerne plus les enfants (B), nous allons apporter quelques précisions sur la notion de mendicité (A).
A- La notion de mendicité :
La notion de mendicité n’a pas une définition juridique appropriée. Elle est le fait de demander l’aumône c’est à dire un don charitable fait à un nécessiteux.
Ainsi, ce terme de mendicité désigne à la fois l’action et la condition de celui qui en fait appel.
Elle est cependant proscrite même si dans certaines situations elle reste toujours tolérable.
1- La situation proscrite :
Au Sénégal, la mendicité, effectuée à titre personnel, en réunion ou avec usage de menace, est en principe interdite suivant les dispositions de l’article 245 du code pénal en application de la loi 75-77 du 09 juillet 1975.
Avec cette interdiction de la mendicité, l’Etat du Sénégal se conforme même à l’article 29 de la Charte Africaine des Droits et du Bien être de l’Enfant ratifiée suivant la loi n° 98-41 du 08 septembre 1998.
Cette volonté politique du gouvernement du Sénégal se concrétise davantage par l’assimilation de la mendicité à une des pires formes de travail des enfants en 2003 et la décision prise récemment en avril 2011 pour l’interdire dans les rues de la capitale.
Cependant, force est de reconnaitre que cette volonté politique n’est pas très affichée puisque non seulement le gouvernement est revenu sur cette dernière décision évoquée mais que la mendicité est légalement tolérée dans certaines situations.
2- Les situations tolérables :
Suivant l’article 245 du code pénal, l’interdiction de la mendicité connait certaines limites.
En effet, le législateur sénégalais ne considère pas comme acte de mendicité « la sollicitation de l’aumône aux jours, dans les lieux et dans les conditions consacrées par les traditions religieuses ».
Il s’agit, pour le législateur sénégalais, de consacrer une réalité culturelle et faire revivre la solidarité qui sous-tend cette pratique de la mendicité.
Toutefois, il faut faire remarquer que cette tolérance constitue un réel obstacle dans l’incrimination de la mendicité puisque même « ces traditions religieuses » ont aujourd’hui évolué jusqu’à favoriser même une instrumentalisation des mendiants.
Certains maîtres coraniques qui doivent assumer leur responsabilité en assurant une prise en charge éducative aux enfants qui leur sont confiés profitent de « ces traditions religieuses » pour les exploiter.
B- Le recours à la mendicité d’autrui :
Le recours à la mendicité d’autrui est prévu et puni dans la loi relative à la lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilées.
Cette loi donne les indications sur les actes utilisés pour parvenir à la mendicité d’autrui qui profite à leurs auteurs.
1- Les actes utilisés :
Aux termes de l’article 3 de la loi 2005-06 du 10 mai 2005, l’exploitation de la mendicité d’autrui est effectuée par « organisation » ou suite à « un recrutement, une embauche, un entrainement, un détournement » ou « l’emploi de pression ».
La précision de ces actes suppose que l’exploitation est le fait d’une autre personne ou d’une structure qui s’appui sur l’état ou la condition d’un individu pour l’amener à solliciter l’aumône au quotidien.
C’est le cas de certains chefs religieux qui, sous prétexte qu’ils vont donner une éducation religieuse à des enfants qui leur sont confiés, les poussent à la mendicité puisque ne disposant pas eux-mêmes suffisamment de moyens pour subvenir à leurs propres besoins et ceux de leur famille.
Il en est de même pour certains parents qui, vivant dans une situation très précaire, se soustraient à leurs devoirs de prise en charge correcte de leurs enfants qui nécessite un coût élevé pour les inciter à la mendicité ou se dérober au profit d’un marabout pour une prétendue éducation religieuse.
Egalement, des structures promettent à des enfants un accueil ou un certain emploi pour finalement les soumettre à la mendicité.
Cette exploitation de la mendicité d’autrui, aussi répréhensible qu’elle soit, constitue une véritable aubaine pour les auteurs qui en tirent un réel bénéfice.
2- Le profit tiré de la mendicité d’autrui:
Les « exploitants » de la mendicité d’autrui s’activent ainsi « en vue d’en tirer profit ».
En effet, la vérité est que l’exploitation de la mendicité d’autrui n’est jamais une activité désintéressée.
Le marché de l’aumône étant très lucratif, très rentable, beaucoup d’enfants sont forcés à mendier durant toute la journée pour non seulement survivre mai aussi apporter une certaine somme d’argent réclamée par le maître coranique et éviter la punition.
Certaines familles, font également de la mendicité, du fait de sa rentabilité, une priorité, un moyen nécessaire pour assurer leur survie et celle des enfants.
Egalement certains centres d’apprentissage sont assurés avec le produit de la mendicité des enfants et d’autres comptent sur les dons pour les faire vivre.
Cette recherche de profit heurte la morale et la dignité humaine et favorise malheureusement la stigmatisation des enfants.
ABDOUL AZIZ DANFAKHA
Magistrat, Substitut du Procureur de la République près
le Tribunal Régional Hors Classe de Dakar.